PARCOURS DE PASSIONNÉS #8
















RENCONTRE AVEC LAURENT KRIER-PECHAIRE,
JUGE DU DEPART AU TROT…


QUEL EST LE RÔLE DU JUGE DU DÉPART (APPELÉ AUSSI STARTER) ?


Notre rôle est de donner le départ des courses suivant un protocole
défini par le Code des Courses.

COMMENT AS-TU DÉCOUVERT CETTE FONCTION &
POURQUOI AS-TU SOUHAITÉ L’EXERCER ?


Mon grand-père avait 2 chevaux. Un jour, les chevaux courraient à Aix Les Bains et mon grand-père connaissait le starter.  Il lui manquait quelqu’un pour tirer les élastiques (L’élastique était tendu perpendiculairement à la piste et faisait office de départ) et mon grand-père a alors dit « tiens j’ai mon petit-fils qui est avec moi, je vais te l’envoyer ».  Et le virus a pris comme ça, j’avais alors 15 ans.
Après j’ai patienté quelques années car pour devenir technicien donc juge il faut être âgé  de 21 ans . En juin 1995, j’ai commencé à officier à Vichy.

COMMENT DEVIENT-ON STARTER/JUGE DU DÉPART ?

Il faut s’inscrire dans la Fédération dans laquelle on vit en envoyant un CV et une lettre de motivation. Par exemple, si tu habites à Paris tu ne peux pas demander un agrément à Marseille.  
Suite à cela, en fonction des besoins, le président de la Fédération convoque le candidat pour qu’il commence un stage avec les juges du départ, stage de 20 vacations (20 réunions de course).
Un point est fait à la moitié de la formation afin de savoir si cela plait au candidat. Au terme de ce stage, le candidat vient à Paris pour faire un stage à mes côtés puis je donne un avis au président de la Fédération qui validera ou non par la suite.

Doit-on être “issu” du milieu des courses pour devenir starter ?

Pas du tout.
Mon grand-père était propriétaire mais je ne suis pas du tout du milieu des courses. J’ai fait des tours de piste chez un entraîneur mais moi ce qui m’intéressait le plus
c’était de soigner les chevaux,
être près de l’animal.

EST-ON OBLIGATOIREMENT SALARIÉ OU
PEUT-ON ÊTRE BÉNÉVOLE ?


En province les juges du départ sont vacataires, ils ont un métier à côté et font ça par passion. C’est vraiment à la journée. Je suis une exception puisque je suis salarié de la société mère LE TROT et je dois donc me consacrer à cette discipline contrairement aux vacataires qui peuvent donner le départ dans les 3 disciplines : plat, obstacle et trot.


















QUELLES SONT LES QUALITÉS PROFESSIONNELLES INDISPENSABLES POUR UN JUGE DU DÉPART…?

Il faut être pédagogue mais également extrêmement rigoureux dans ce que l’on fait parce que cela fait partie des choses que les drivers vont remarquer. Il faut toujours faire pareil au même moment pour qu’ils prennent l’habitude de leur starter et que le départ devienne une chose automatique pour eux, que cela se fasse naturellement sans stress. En effet, s’ils se posent à chaque fois la question de savoir comment on va partir c’est une catastrophe et c’est là que l’on obtient « le cirque » au départ.

On doit évidemment être hyper réactif car lorsque l’on voit quelque chose il faut bien savoir que l’on est sur un fil lorsqu’on donne le départ. C’est-à-dire que l’on doit voir quelque chose, le juger et réagir si besoin mais une fois que la course est partie, c’est trop tard. C’est différent des commissaires qui peuvent « faire enquête » et revenir « en arrière » en revisualisant les allures d’un cheval dans le parcours et en le disqualifiant après l’arrivée.

Ça n’est pas toujours très simple mais c’est ce qui met un peu de piquant dans ce métier. Evidemment il faut être calme et ne pas hurler. Les drivers le ressentent comme du stress de la part du starter et si le starter est stressé, ils estiment alors qu’il est susceptible de valider n’importe quoi.

Le juge du départ est constamment sur le fil. On a le temps des commandements de départ pour dire « oui on laisse partir ou non on arrête ».

Les chevaux montent perpendiculairement à la piste lors du départ
avant de faire un quart de tour pour partir

ADAPTES-TU TA MANIÈRE DE DONNER LE DEPART EN FONCTION DES DRIVERS/JOCKEYS PROFESSIONNELS, DES APPRENTIS OU DES AMATEURS?


Oui, ma façon de donner le départ change car nous sommes là pour les « manager » un peu et pour tenter de prendre leur pression. C’est-à-dire « cool, si vous écoutez, ça va bien se passer. »

Je vais guider davantage les apprentis et les amateurs et leur donner un peu plus d’explications. Il faut les aider au mieux pour qu’ils puissent bien partir. Lorsque quelque chose ne va pas, ça n’est pas forcément sanctionnable mais on les appelle et je leur montre le film en disant « voilà là ce que vous avez fait ça n’est pas correct, ça n’est pas dangereux mais ça n’est pas bien car si on vous le faisait vous ne l’accepteriez pas. » Ce travail de pédagogie est indispensable pour qu’ils ne réitèrent pas les mêmes erreurs. Evidemment s’ils récidivent, on sanctionne.


À l’inverse, j’ai tendance à moins parler avec les professionnels qui connaissent leur métier même s’il m’arrive aussi de temps en temps de faire ce travail de pédagogie et de les appeler. C’est pour ces raisons qu’il doit y avoir un climat de confiance entre le juge du départ et les drivers/jockeys. Nous ne sommes pas  là pour les embêter, pour les empêcher de partir, mais pour les aider et avec nos petits moyens il faut leur donner des conseils c’est évident car ils ne voient pas tout.
Sur un sulky ou sur un cheval ils n’ont pas les yeux derrière la tête, ils ne voient pas alors que le starter est en hauteur, il a donc une vision du mouvement des chevaux.

QUELS SONT LES DIFFÉRENTS MODES DE DÉPART AU TROT ?


Il en existe 2:

– Les départs voltés
avec des commandements de départ suivant un protocole défini par le Code des courses. Pour le départ volté, on fait faire un demi-tour pour qu’ils puissent être dans le sens de la marche. On les cantonne dans une aire de départ et on fait faire un quart de tour pour qu’ils puissent se mettre droit à la piste et partir suivant des commandements de départ.

– Les départs lancés à l’aide de l’autostart. Dans ce cas on utilise une voiture avec des grandes « ailes » sur lesquelles des numéros sont inscrits. Les chevaux ont un numéro défini et se placent au niveau de ce numéro sur une ou deux lignes en fonction du nombre de partants. Cela lance les chevaux mais on peut très bien utiliser l’autostart sur une longue distance, ça se fait sur beaucoup d’hippodromes.


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Départ volté sur l’hippodrome de Vincennes.
Les chevaux sont perpendiculaires à la piste.

Un départ à l’autostart sur l’hippodrome d’Enghien

QUAND EST-CE QU’UN DÉPART EST CONSIDÉRÉ COMME « FAUX DÉPART »?


Le faux départ est défini par l’article 66 paragraphe 5 du Code des Courses au Trot. Il y a faux départ lorsque l’appareil qui donne le départ fonctionne mal, lorsqu’il y a un accrochage ou un accident pendant le départ et lorsque qu’un concurrent « vole » le départ.
Au départ volté, c’est une machine qui valide le départ ou non grâce à un faisceau laser. Il y a en réalité 2 lignes de départ une ligne de départ officiel qui est la distance et un mètre après, la ligne de faux départ. Lorsqu’un cheval coupe les 2 rayons avant un certain moment des commandements cela provoque un faux départ. Bien évidemment le juge du départ à la possibilité d’arrêter le départ s’il constate que quelque chose ne va pas (gênes, comportement…)

À l’autostart, c’est le juge du départ qui contrôle et qui valide ou non le départ (débordement des ailes, accrochage, voiture qui fonctionne mal, place d’un cheval qui n’est pas la bonne…)

« Dans tous les cas, il ne faut jamais valider un départ contre sa volonté.
Si on a un doute pendant son départ c’est que quelque part on a vu quelque chose. »

EST-CE QU’UN CHEVAL PEUT ÊTRE NON PARTANT S’IL « PROVOQUE » des FAUX DÉPARTS ?


Oui il peut être non partant mais seulement en raison de son comportement. Si le starter voit que le cheval n’est pas apte à courir il appelle les commissaires en demandant à ce qu’il soit mis non partant.  Le cheval est sanctionné plus ou moins fortement en fonction de la gravité.

QUELLES SONT LES ÉVENTUELLES SANCTIONS ET PAR QUI SONT-ELLES ANNONCÉES ?


Les sanctions sont différenciées selon la catégorie de la licence (professionnel, apprenti ou amateur). Ils peuvent tous être mis à pied mais les professionnels et les amateurs peuvent également avoir des sanctions financières.
Les sanctions sont annoncées par les commissaires des courses, le starter émet uniquement des propositions. Elles sont pratiquement toujours suivies par les commissaires. En effet, cela est logique et indispensable car si le starter ne peut plus « sanctionner » une faute il va perdre toute autorité puisque les drivers vont dire « de toute façon on ne sera pas sanctionnés donc on fait ce que l’on veut ».

LE JUGE DU DÉPART EST-IL SEUL DÉCISIONNAIRE ?

Au moment du départ l’article 64 Paragraphe 8 du Code des Courses au Trot précise que « le juge du départ est le seul juge de la validité de son départ ». Seul lui décide si la course part ou pas.
Cependant, il s’agit d’un véritable  travail d’équipe. Le starter tout seul ne peut rien, le second starter tout seul ne peut rien. C’est vraiment un binôme. Nous ne sommes que 2 salariés en France à être juge du départ. On a une méthode de travail qui a été définie lorsqu’on a commencé. J’ai dit à mon collègue, « il faut que l’on travaille de cette manière » et on fait toujours la même chose pour que tout le monde s’habitue. On a d’assez bons résultats car on « tient notre monde » et on fait tout le temps pareil donc les gars peuvent s’habituer à nous.

« C’est réellement un travail d’équipe et les drivers font partie aussi de cette équipe.
Ce ne sont pas nos ennemis, ce sont nos collègues de travail. On est là pour les aider à partir donc c’est à nous de nous démener pour qu’ils puissent bien partir. Il est évident qu’ils ne viennent pas faire des tours de piste pour rigoler, ils viennent gagner leur vie donc si le starter fait n’importe quoi au départ c’est une catastrophe. »

EST-CE QUE TON MÉTIER A ÉVOLUÉ DEPUIS QUE TU L’EXERCES ?

Oui il a beaucoup évolué. Au point de vue technique on n’utilise plus les mêmes machines pour donner les départs. Avant on donnait les départs aux élastiques, maintenant ce sont des départs au faisceau, les conditions de course ont évolué en fonction de la catégorie des chevaux, les courses sont davantage filmées, les réunions Premium se sont multipliées…
En tant que starter on a dû faire face à ça et s’adapter à tout.
Le starter est le garant de la régularité du départ qui joue un rôle pour les parieurs et les professionnels. On est le rempart donc c’est à nous avec notre éthique de faire au mieux pour que tout le monde puisse courir correctement.

C’est vrai que le travail d’équipe est essentiel et primordial pour réussir. Le starter qui dit « c’est grâce à moi »  n’a rien compris au film. Je suis très à cheval là-dessus car il y a beaucoup de starters qui font cette erreur là et c’est bien dommage.


UN SOUVENIR MARQUANT…

J’y ai bien réfléchi et j’ai pensé à une anecdote un petit peu rigolote que j’ai vécu…
Cela m’est arrivé lorsque j’étais starter en Fédération de 1995 à 2000 lors d’un départ d’une course de galop sur l’hippodrome de Châtillon sur Chalaronne.
J’aidais mes aides starter à faire entrer les chevaux dans les stalles de départ car j’avais une équipe de « petits papis ».  On rentre le dernier cheval et je commence à me diriger vers mon escabeau et là, le monsieur qui tenait l’escabeau éternue, et en éternuant il ne lâche pas l’escabeau mais le secoue…. Le bouton poussoir qui déclenche l’ouverture des boites est alors tombé et paf, ouverture des boites, chevaux partisIls sont partis sans starter. Je n’ai pas eu le temps d’aller à l’escabeau, j’étais à mi-parcours et je les ai vus partir…
Autrement c’est bien évidemment des grands moments, d’être ici c’est un métier magnifique, on côtoie des chevaux, des sportifs, des hommes concentrés. C’est tout de même merveilleux de voir quelqu’un être capable de dire « ce cheval on va l’emmener au Prix d’Amérique. »
Ça relève de la magie. Côtoyer toutes ces personnes est un véritable honneur. Donner le départ du Prix d’Amérique est une chance. J’ai les meilleurs chevaux au monde avec les meilleurs drivers du monde. Je ne peux pas rêver mieux. C’est un boulot extraordinaire…

Crédits Photos: JLL LE TROT & ScoopDyga